Il vous est sans doute arrivé en roulant sur une autoroute d’être invité à évaluer vos distances avec les voitures qui vous précèdent en vous réglant sur des bandes blanches peintes sur le long de l’accotement.
L’épidémie du coranavirus qui sévit dans le monde nous oblige à tenir nos distances et cela n’est pas facile. Nous avons tellement l’habitude de serrer des mains ou de nous donner des bisous ! L’attitude de distance qui nous est imposée pour des raisons de sécurité entraîne avec elle une grande frustration : les grands-parents et leurs petits enfants se voient moins, les jeunes qui aiment se retrouvent en groupe ne peuvent voir leurs amis, les enfants sont séparés de leur copains de l’école. Devant les commerces, il faut faire la file et nous nous regardons parfois comme des chiens de faïence. Mais il y a pire encore : des grands-parents ne peuvent aller voir leur petit fils ou petite-fille qui vient de naître ; lors d’un décès, la famille du défunt est privée du soutien et de la présence physique de ses proches et de ses amis. C’est au moment où les personnes auraient le plus besoin d’un geste d’amitié ou d’une étreinte de sympathie qu’elles se retrouvent avec leur peine encore plus grande. Que dire encore de celui qui souffre d’être seul ? Il se retrouve encore plus seul. Mais la situation de crise que nous traversons entraîne avec elle des élans de solidarité admirables. Nous nous sentons à la fois isolés et solidaires.
Distance et proximité. Pourtant, en temps normal, toute relation humaine est composée à la fois de proximité et de distance. Etre tout le temps collé ou agglutiné l’un à l’autre n’est pas bon ; c’est même un signe d’immaturité. Il ne peut y avoir de véritable communion que s’il y a aussi une part de solitude. Chacun doit pouvoir garder sa zone de mystère. En tout homme se trouve une part de solitude qu’aucune intimité humaine en peut combler, même l’amour le plus fort entre deux êtres. Le poète Khalil Gibran l’exprime admirablement en parlant du mariage. « Chantez et dansez ensemble et soyez joyeux, mais demeurez chacun seul. De même que les cordes d’un luth sont seules cependant qu’elles vibrent de la même harmonie. Tenez-vous ensemble, mais pas trop proches non plus : car les piliers du temple s’érigent à distance, et le chêne et le cyprès ne croissent pas dans l’ombre l’un de l’autre. » (Le Prophète)
Le mystère chrétien est lui aussi fait de proximité et de mystère. « Quelle est la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous ? » (Deutéronome, 4, 7)
Bien plus, Dieu s’est tellement approché des hommes qu’il s’est fait homme. Le vendredi saint nous entendons le texte suivant « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté » Philippiens 2,5-9). Jésus s’est approché de tous les pauvres de son temps. Il a touché les intouchables, même les lépreux, confinés loin de toute vie sociale, séparés des autres par plusieurs mètres de distance, puisqu’ils devaient vivre loin des villages. Il a vécu toute la vie d’un homme, excepté le mal qu’il a voulu porter sur lui pour nous en délivrer. C’est là tout le sens de la fête de Pâques qui approche, mais que nous ne pourrons fêter normalement. Nous ne pouvons célébrer la semaine sainte avec la communauté des chrétiens et nous devrons la suivre par KTO, RCF ou encore France 2. Nous ne pourrons malheureusement vivre à l’église les offices si beaux et si riches du mystère pascal. Que cela ne nous empêche pas de lire les textes et de prier. Loin de l’église, il nous est toujours possible de nous recueillir et de descendre dans le fond de notre cœur. Saint Silouane, moine de l’Athos (mort en 1938), qui a laissé de beaux écrits spirituels disait : « Pour celui qui prie dans son cœur, le monde entier est une église ».

Confiance ! courage ! soutenons-nous les uns les autres par des attentions d’amitié et par la prière.