La solitude : un état souvent évoqué aujourd’hui ! Cela est notamment dû à l’infinie variété de formes de solitude, elles-mêmes liées à bien des situations, des parcours de vie et des caractères particuliers. On soulignera par exemple ici l’énorme différence qui existe entre « être seul » et « se sentir seul », même si les deux notions peuvent coexister.
Si, d’une manière générale, on peut définir la solitude comme un manque ou un vide à combler et si le troisième âge lui est souvent associé, nous verrons pourtant qu’elle n’est pas nécessairement négative et nous analyserons les diverses formes qu’elle peut prendre au cours des différents âges de la vie. Trop souvent, en effet, nous portons sur elle un regard négatif qui ne peut qu’amener à la redouter, à la fuir, alors qu’il y aurait peut-être moyen de la découvrir sous un autre jour et, pourquoi pas, de l’apprécier.
Il existe d’abord une solitude physique. De l’ordre des faits observables, concrets, c’est celle qui frappe l’être qui se retrouve isolé, sans compagnie, sans famille, en marge de tout contexte social. Parlant d’isolement social justement, nous constatons qu’il s’amplifie à mesure que la personne prend de l’âge et, en tout cas, à partir du moment où l’absence ou la perte d’une occupation professionnelle la place hors du circuit d’une certaine productivité.
La solitude morale est, quant à elle, plutôt de l’ordre du subjectif, du sensible et peut d’ailleurs très bien exister chez un être socialement intégré. Ce sentiment de solitude est souvent source de douleur et d’angoisse, surtout s’il se double d’une solitude physique.
Une fois posées ces définitions, certes à connotation négative et qui visent deux aspects à la fois proches et éloignés, interrogeons-nous sur le caractère destructeur puis constructif de la solitude.
Qu’elle soit physique ou morale, la solitude est une souffrance si elle est vécue comme un échec, un rejet, et qu’elle n’a, pour celui qui en est ou qui s’en dit victime, aucun sens. Parce qu’elle engendre un sentiment de vide, d’abandon, elle finit par ronger l’être qu’elle déstabilise, déstructure, fragilise, un être qui, de surcroît, éprouve l’impression désagréable de ne pouvoir rien faire pour échapper à son destin.
La solitude qui détruit est donc celle-là même qui n’est pas choisie. On l’assimile souvent à l’isolement qui engendre la non-communication. Ainsi en va-t-il de l’adolescent que ses parents ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, du prisonnier oublié au fond de sa cellule, de la personne âgée abandonnée dans sa maison de retraite, par exemple en situation d’épidémie, du malade sur un lit d’hôpital, du réfugié incapable de s’intégrer dans son nouveau milieu de vie ou que les personnes qui sont censées l’accueillir refusent d’intégrer à leur propre existence.
Selon les psychanalystes, ceux qui vivent mal la solitude le doivent parfois à des carences affectives précoces ou à une phobie, celle notamment de se retrouver avec soi-même, face à son monde intérieur. Dans ce cas, en effet, la présence de l’autre va rassurer et jouer le rôle d’anxiolytique. C’est qu’avec lui, on oublie de penser à nos peurs, à nos désirs, à nos fantasmes. Mais on peut aussi être renvoyé à des peurs objectives, à un traumatisme réel, lié par exemple à une agression physique.
Si on en a la possibilité, on tentera d’échapper à l’angoisse découlant de cette forme de solitude. Et tous les moyens sont bons, y compris les plus destructeurs : la boulimie, l’hyperactivité, certaines médications, la fuite sur Internet et ses sirènes, histoire de se remplir de quelque chose, de chercher une compagnie à tout prix et d’éviter l’ennui, lequel pourrait à la longue mener au suicide, alternative d’ailleurs souvent hélas envisagée. Là, sans doute, réside une part de l’explication du développement effréné des réseaux sociaux sur Internet.
Personne en tout cas ne peut dire qu’il n’a pas été à un moment ou à un autre de son existence confronté à cet état. Mais rien n’est définitivement fixé et acquis en la matière car, comme l’écrit le psychothérapeute Gérard Macqueron dans son ouvrage Psychologie de la solitude, « Rien n’est irrémédiable, ni écrit d’avance. Savoir être seul, cela s’apprend. »
C’est seulement la solitude voulue ou acceptée qui peut engendrer du bien-être. Ecrivains, artistes, médecins, … la recherchent parfois comme une nécessité susceptible de les aider à se concentrer, à se refaire une santé psychique ou physique. Il s’agit bien là de se retrouver, de se recentrer sur l’essentiel d’une vie.
Plus largement, dit encore Gérard Macqueron, « la solitude est une véritable rencontre avec soi-même. Par cette expérience, l’homme est confronté aux questions fondamentales de la vie : quel est le sens de son existence, qui est-il, que veut-il faire de sa vie, que pense-t-il de lui, quelle place occupe-t-il dans le monde, quelle relation entretient-il avec les autres ?»
Par ailleurs, force est de constater qu’aujourd’hui, on a de plus en plus tendance à gommer l’image du célibataire malheureux, oublié des autres, voire atteint d’une forme d’anomalie. Au contraire, peut-être face à un nombre croissant d’échecs du couple, certains vont-ils jusqu’à envier une forme de célibat qui serait source d’épanouissement et de bonheur. C’est que la vie de couple est loin d’être un long fleuve tranquille. Dominique Contardo-Jacquelin, psychothérapeute elle aussi, voit dans cette formule de vie l’occasion de « se fréquenter soi-même, être davantage à son écoute, s’interroger sur ce qui ferait plaisir, sur les personnes que l’on pourrait rencontrer… », l’occasion donc de trouver d’autres domaines de réalisation de soi que le couple, qu’ils concernent le professionnel, l’artistique, l’associatif ou encore le sportif.
Cela dit, ceux qui ont choisi, pour quelque raison que ce soit, de se réaliser pleinement ailleurs que dans une vie à deux posent encore parfois question, quand ils ne font pas sourire purement et simplement, si toutefois le couple continue de constituer une norme sociale. « Dans un monde où tout est conçu pour les couples, il est difficile d’être seul » précise le psychanalyste Jean-Michel Hirt.
Envisageons pour terminer quelques solutions ou remèdes à la solitude douloureusement vécue. Ils seront de deux types, selon que l’on est soi-même victime ou que l’on est amené à soulager une solitude rencontrée dans son propre entourage.
Dans le premier cas, l’important est d’abord de bien se connaître, d’accepter ses limites et d’identifier ses atouts, de se construire une bonne estime de soi et une confiance en soi, de gérer correctement ses émotions de manière à vivre en paix avec soi-même, et ainsi d’établir des relations voulues et non forcées. Alors seulement pourra-t-on alterner moments de solitude et moments de dépendance : c’est cela même qui prouve la véritable maturité affective.
Quant à la solitude à soulager chez l’autre, on veillera notamment à mettre en place, là où il convient et là où on le peut, des espaces de communication et d’échanges. C’est par eux en effet que l’individu pourra exprimer ce qu’il vit, ce qu’il ressent, ses joies et ses réussites comme ses difficultés et ses échecs. Ici intervient l’écoute menée avec empathie.
Concluons avec l’écrivain Christian Bobin : « Deux biens sont pour nous aussi précieux que l’eau ou la lumière pour les arbres : la solitude et les échanges. L’enfer est le lieu où ces deux biens sont perdus. »
Christian ROBINET