Dans Le petit prince, livre poétique d’Antoine de Saint-Exupéry sur l’esprit d’enfance et l’amitié, nous pouvons lire cette phrase qui vaut son pesant d’or : « L’essentiel est invisible pour les yeux. » Dans son voyage de planète en planète, le petit prince rencontre des hommes affairés, vaniteux, attachés à l’argent, préoccupés de leur intérêt ou accrochés à leur pouvoir. Mais l’essentiel n’est pas là… « Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. »
Les hommes ont-ils tellement changé depuis la première publication de l’œuvre, le 6 avril 1943 ? Les conditions de vie se sont sans doute considérablement améliorées, mais le progrès suffit-il à rendre un homme heureux ? « On va sur la lune mais si c’est pour s’y suicider, à quoi cela sert-il ? », disait André Malraux ? Qu’est-ce qui est essentiel ou secondaire, indispensable ou accessoire ? La crise actuelle nous oblige à faire le tri et peut-être même à jeter aux encombrants ce qui nous empêche de respirer à pleins poumons.
Elle nous dépouille radicalement de tout ce qui fait notre vie quotidienne, nous obligeant à nous occuper autrement et à réfléchir davantage.

Voici ce qu’a écrit Mathieu Ricard sur l’épidémie que connaît l’humanité. « Dans les pays nantis, nous en sommes peu à peu venus à penser que l’humanité avait maîtrisé la nature et pouvait la dominer selon son bon vouloir. Nous cherchons en permanence le confort matériel et plaçons toutes nos attentes et nos craintes dans les conditions extérieures, poursuivant des intérêts superficiels par l’acquisition de toujours plus de possessions, de gadgets en tous genres, et de sensations plaisantes. La situation actuelle est un rappel de la fragilité de la vie et du caractère illusoire du contrôle que nous pensons exercer sur le monde qui nous entoure. Mais ces circonstances défavorables peuvent aussi nous permettre de revisiter nos priorités dans la vie. »

« L’essentiel est invisible pour les yeux. » De par sa nature, la foi est invisible. Saint Paul écrivait : « Notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas. (…) Nous cheminons dans la foi, nous cheminons sans voir. » (2e lettre aux Corinthiens 4, 18 et 5,7). Nous avons toujours à redécouvrir l’essentiel, ce sans quoi il nous est impossible de vivre pleinement. Si nous sommes chrétiens, la foi fait naturellement partie de ce bagage dont nous ne pouvons nous défaire sans perdre notre âme et notre raison de vivre. En l’année 303, à Abitène dans l’actuelle Tunisie, 49 chrétiens furent mis à mort pour leur foi. Au proconsul qui lui demandait pourquoi il avait accueilli des chrétiens dans sa maison, malgré l’interdiction impériale, l’un d’eux répondit : « Nous ne pouvons vivre sans le dimanche. » Pouvons-nous vivre sans l’eucharistie, sans les sacrements, sans la semaine sainte, sans au minimum, la prière ? Si oui, nous ne sommes pas encore chrétiens ! ou bien, nous croyons l’être, mais nous ne le sommes que de nom…

Nous allons célébrer la semaine sainte comme jamais nous ne l’avons fait. Il nous sera impossible de vivre en communauté paroissiale ce qui est au cœur de notre foi chrétienne : l’entrée du Christ dans sa passion et sa victoire sur la mort. Heureusement, la chaîne KTO est là pour ne pas nous laisser seuls.

Que cette semaine unique entre toutes dans l’année, appelée par nos frères d’Orient la Grande Semaine, ne nous laisse pas indifférents, mais que, là où nous sommes, nous puissions garder le recueillement nécessaire pour puiser dans notre foi, invisible pour les yeux, mais tellement essentielle, les vivres dont nous avons besoin pour traverser ensemble, en nous soutenant les uns les autres, l’épreuve collective qui est la nôtre aujourd’hui.